Mais tout pleine face par Michel BROSSEAU | Vase communiqué N° 1| Vendredi 1er Mars 2013 |
jeudi 28 février 2013
Hervé Vernhes 2011 [ collection privée]
Le silence et la beauté consolent un moment de tout ce qui grouille et se délite autour. (extrait d’un message envoyé par Marie-Thérèse Peyrin pendant la préparation de ce vase)
En fait j’aurais préféré le silence. La beauté je sais pas trop. J’ai jamais su. Ce qui à partir de ce qu‘on convient d’appeler ainsi emmène oui. Ce qui fait qu’on sent l’instable des deux pieds sur terre et la tête sur les épaules. L’écho au vacillement. Aux matins sans odeur ni promesses. Pas même lumière. Écho et de quoi constituer. Pas donner prise. Mais matière révélée offerte. Matière à modeler à son tour. Donner forme. Alors silence plutôt. Silence et qu’y naisse le chant. Conçu avant en fait. Qu’il advienne et cherche sa fin. La trouve. S’y pose. Mots et notes – des sons, rien que des sons, matière unique – qu’ils trouvent leur résolution. Leur souvenir seulement et plus rien que le silence. Qu’un nouveau chant démarre s’il le peut. Remâche la mémoire du précédent. Quant à ce qui grouille : j’ai trouvé fenêtre pour mon retrait. Délite ? Jeux d’ombres des formes anciennes. Tellement vains ces châteaux de cartes. Tout au-dedans. Mais tout pleine face. Pas de côté trop compacte leur force. Pas gagné au-dedans. Pas de côté à l’entour. Ronge en dedans. Plus de danse où t’étourdir. Protège ton crâne. Le dépeupleur n’est jamais loin. Alors, ad lib : pas de côté | pas gagné | pas de côté | pas gagné | pas de côté | pas gagné | pas de côté | pas gagné
Fiction cathare ou cathartique ( a minima mais je peux m’ en amuser aussi)
Dès lors, vous lisant, Michel Brosseau, et prélevant vos jeux d’ombres des formes anciennes, j‘ai pensé immédiatement à la chanson faussement enfantine : Mon beau château !
Pas de château en cartes à jouer, mais bâtisse à meurtrières, farcie de fissures à la fois défensives et offensives, biffures protégées dans l’épaisseur d’un épais mur médiéval. En me souvenant abruptement d’une explication donnée à la cantonade, dans les hauteurs de la forteresse de Najac par un guide fatigué, j’ai très vite embrayé sur la fin des haricots. Sans doute une rengaine explicative de ce vieil harangueur tombé en faction, apparemment sans plaisir, devant une excavation dépourvue de couvercle, je l’ai vue entourée d’un gazon qui n’était pas d’époque. Crédulité touristique cependant, bien desservie par la suspension très provisoire de nos obligations professionnelles. Promenades au grand air, et décompte harcelant de nos congés d’été. Et bientôt pour moi, hallucinations persévérantes, grouillement très visuel de charrettes grinçantes et poussives, claquements de fouets, brassées de jurons harassés. Ici, jadis on colportait, on pourfendait, on châtiait. Tout ce qui me fait horreur définitivement. Avec des échauffourées, des embuscades en pagaille, on refoulait toute horde d’assaillants en mobilisant des armures cruelles, on écrasait, on humiliait, on pratiquait l’impôt du sang. On dominait toute une valetaille repeinte à la manière de Jérôme Bosch. Les uns, les autres et les suivants, étaient passés au fil du hachoir, du hâtoir, peut-être en alternance… La vie était si courte, qu’il fallait la pendre haut, et l’exhiber vaincue, bien en-dessous du rêve d’immortalité. On ne passait pas non plus sans le savoir et sans bruit cette fameuse arme à gauche. On remontait en tremblant les escaliers étroits et tournants des tourelles. Colimaçons pour droitiers avisés. Ceux d’en haut étaient avantagés… Architectures abruptes et fonctionnelles pour lilliputiens belliqueux. Les femmes étaient des urnes à fantassins, elles mouraient comme des mouches, le plus souvent en couches. On les engrossait le plus tôt possible et mécaniquement après les relevailles, sans ménagement jamais, entre deux batailles. Vie d’insectes nerveux et vite orphelins, personnages de cour des miracles dans le promenoir des superstitions et des religions à martyrs. Et à l’heure de leurs morts… Ainsi-le fallait-il … On allumait de grands candélabres… On chantait jusqu’au sommeil, quelques hymnes nauséeux à goût giclées d’encens.
Les dépeupleurs sont morts depuis longtemps croit-on, mais les parois granitiques des vieux cachots en conservent les gangues à grise mine. Avec leurs parois mouchetées de vieux lichens, les mortifères oubliettes restent insalubres et pourtant… visitables, bêtement innocentées par les rayons du soleil. Figées dans les mémoires comme des sosies de Musée Grévin ces odieuses concrétions amnésiques témoignent encore à charge. La bâtisse suinte ad libitum, le drame incompris de toutes les vies écourtées, elle pue l’historicité édulcorée par des étiquettes imprimées au pyrograveur sur du bois trop neuf. Ostentation d’un phénoménal effacement patrimonial, celui des cris, des dominations et des exactions par ferrailles interposées. « Nos malheurs ne durent pas longtemps dans la mémoire des autres » disait un jour autrement, le poète espagnol Claude Esteban. Lui était grand lecteur du Roi Lear et de ses pensées dures…
L’amour comme la beauté sont de comparution récente… Je ne suis pas étonnée qu’on puisse douter de leur existence. Les murailles n’ont jamais eu d’oreille. Il faut invariablement des grappins, des tuyaux, des cordes et des ficelles pour relier les prisonniers vivants, y compris à l’heure d’internet des tablettes graphiques et des portables. Le secret des pyramides n’est peut-être que le refus de mourir qui s’inflige à autrui pour voir comment ça peut se vouloir… un état pareil… un tel scandale personnel. L’image de la mort de l’autre est aussi fascinante que celle de la naissance ou du coït. Il s’agit toujours d’un épisode lié à un sentiment aigu de captivité transitoire et la recherche de ruses pour en sortir. Toutes trois sont si troublantes qu’on passe beaucoup d’énergie à les provoquer ou à les mettre à distance. Chacun, chacune d’entre nous possède sa panoplie d’endurance et de jouissance secrètes. Recherche d’issue, faute d’avoir su, à chaque fois, anticiper la condition circonstancielle d’otage. Qui se voit volontiers longtemps hôte obligé de la beauté, de la passion amoureuse, du ventre parental ou d’une sentence mortelle? Et quand tout ça se mélange indiciblement, et parvient à nous sidérer durablement, implose-t-on davantage dans l’écrit ? Nous connaissons tous la lassitude, et l’horreur de ces cliquetis prémonitoires d’épées, de forceps ou d’arbalètes à ombres portées par Cupidon dont on dit qu’il s’en fout… C’est du tout surjoué d’avance. On abandonne régulièrement à la rouille et à la dérision les reliques officielles de ces combats dégrisés. Post coïtum ou partum animaux tristes…
Mais il y aura toujours des silencieux et des discrets pour relever les cadavres, des doux motivés pour caresser et réparer les jeunes ou vieilles peaux endolories, des rempailleurs dévoués pour embaumer la laideur résiduelle dans l’envers des décors.
Ce seront toujours pour moi les orpailleurs du silence que sont les poètes. La terreur redevenue invisible, mais intacte, restera encore dans la place laissée vacante pour toutes sortes de légendes, de commentaires tendancieux, complaisants et inexacts. La beauté des regards aura péri en premier dans ces zestes immatériels de lumière, elle aura déguerpi dans les intermittences démentielles du désastre immémorial, elle aura contourné le constat du chaos orchestré, celui qu’on reproduit fidèlement en calmes plaines ou dans l’espace aérien au-dessus des déserts pétroliers. Le dépeupleur intérieur, on le sait, n’est jamais fatigué. C’est un coucou d’horloge qui aiguise son bec à chaque génération d’émigrants involontaires ou d’amoureux mal inspirés. La violence des mouvements est la même, l’amertume de la fin des illusions aussi. Trouver une place au soleil et qui ne soit pas la plus vulnérable ou désagréable, voilà la grande affaire… Version système D : - « Tu te débrouilles ou tu dérouilles ! ». Pas de côté | Hors des visées des meurtrières|C’est pas gagné, Michel !| Beauté fatale, disait mon frère lorsqu’il était adolescent | même prénom|… vaguement enchanté, enivré peut-être, par sa rime craintive sur le pouvoir d’ icelles. -« Beauté fatale, quand je te vois, moi, je cavale… » … Et je le regardais sans comprendre. Il n’avait pas de cheval, ni de Dulcinée à sauver, il n’avait pas lu Cervantès, il n’avait encore rien vu… rien vécu… J’espérais pourtant qu’il tombe bien (Ne lui voulant précisément, comme à vous, que du bien, me sentant presque sa jumelle à onze mois d’écart…), je souhaitais qu’il devienne pour quelqu’un un amoureux sans peur, sans en mourir… ni d’ennui, ni de dévotion, ni de déception. Aujourd’hui j’en rigole ou je m’inquiète à distance pour lui … De l’eau claire et de la boue ont coulé sous tous les fronts.
Non ! Michel, les cochons d’Inde non plus, n’ont pas d’ailes, ils ne planent pas longtemps lorsqu’on les laisse tomber du balcon… On peut bien sûr les remettre dans leur cage, les nourrir, nettoyer leurs déjections, même si, j’en conviens, ils tournent un peu en rond… La beauté tourne en ronds, de toute façon. Elle aussi est encore trop souvent vénale. Est-ce pour cette raison qu’on s’en méfie ? En prise directe sur la petite histoire locale, sa culturelle et hormonale condition, la prévenance entre humains est une âpre conquête de justesse. La déréliction semble un effet d’élection puis de piétinement progressif ou brutal. La fin des haricots, c’est aussi l’arrêt de la lutte, faute de combustible pour la vitalité des corps et des esprits. L’arrêt du chant se profile alors. Le silence pourra faire ses avances à mains nues. Il sera bien perçu.
Vos silences, Michel, votre étonnement sera pareil au mien peut-être. Je vous imagine, mais sans image à ma portée, je vous vois vous, lisant ce texte, le comparant au vôtre, cherchant le script de la prochaine danse à crâne découvert. Je guette votre réaction. J’ai écrit sans m’arrêter pendant plus de deux heures, avec des coupures que je vais qualifier de naturelles. Je suis remontée et redescendue sans relâche dans le texte pour le rétamer, le recadrer, le rendre audible et partageable. J’ai été dans un mouvement de déversement narratif intempestif que le principe actif des vases a favorisé. J’ignore la teneur et la profondeur exacte du geyser que je vous donne à voir. C’est la première fois que je tente en public une écriture qui creuse ainsi le sol en stéréo. C’est presque une promesse de petit délire interactif à mémoire de formes. Le son des mots, leurs sens multiples, m’ont autant guidée que les thèmes (familiers) que je favorise à chaque fois que j’écris une phrase au-dessous de l’autre par accointances raisonnées et ce que l’on appelle aussi préoccupations. Je te tutoie pour finir, parce que je tutoie toujours au bout d’un temps plus court, mais sans constance, ceux qui s’essaient à causer avec générositéavec d’autres. Pleine place |en face | à face|. On aura repeuplé ? Je l’ignore … Mais je termine avec une citation de Bernard Noël, à qui je pense particulièrement en ce moment. Son écriture m’accompagne souvent.
« Vous essayez de casser les mots avec des mots, et rien à faire : ils ont entre eux des pouvoirs de passe-murailles ; ils ne se cognent pas, ils se traversent […] » Bernard Noël – Les premiers mots -2003
Marie.Thérèse PEYRIN